L'appartement était exigu, le mobilier rudimentaire. Entre les lattes des stores une lumière grésillante persistait à éclairer sporadiquement la pièce unique plongée dans l'obscurité. La peinture écaillée laissait entrevoir des murs sombres couverts d'un papier peint ancien, dépassé de mode depuis des décennies. Sur la moquette élimée reposaient des sacs militaires, chargés d'affaires en tout genre. Sur un des murs, une gigantesque fresque avait été mise à jour derrière la peinture. Elle était partiellement recouverte de photos et d'indices en tout genre.
Seuls les cliquetis du matériel que l'on vérifie et prépare se faisaient entendre. Les trois silhouettes se découpaient en ombre chinoise, un comble...
Au loin, une dispute éclata. Les voix montaient, pour s'éteindre subitement et laisser place aux sanglots. Les trois ombres tendirent l'oreille puis se concentrèrent à nouveau sur leur tache. Les murs à l'épaisseur de papier laissaient tout entendre. Les rares habitants du squat ne pouvaient pas se payer mieux... Le bâtiment était très ancien, et sa décrépitude ne laissait même pas entrevoir l'exacte patine des ans. Certains s'étaient acharnés à supprimer tout le cachet du lieu comme pour en faire oublier sa vraie valeur. Les gargouilles, les clochetons avaient été soigneusement retirés pour ne laisser place qu'à une façade terne, comme il y en a des centaines à New York.
Les trois silhouettes évitaient soigneusement le centre de la pièce. Les préparatifs étaient bientôt terminés.
De sa voix rauque et rugueuse, l'un des hommes prit la parole.
- Prêts?
Il monta une lampe sur son front, dévoilant les arêtes aiguës de son visage. Ses longs cheveux noirs masquaient une partie de sa joue, de son sourire qui semblait ne jamais vouloir disparaître. Ses yeux sombres demeuraient invisibles dans l'obscurité. Ils sondaient l'insondable, étendu devant eux.
Au milieu de la pièce venait d'apparaître un gouffre infini de ténèbres. La dalle avait été creusée pour dévoiler un abyme, un trou duquel soufflait un vent chaud qui envahissait la pièce de son odeur nauséabonde.
L'homme se tourna alors et éclaira chacun de ses acolytes, tour à tour.
A sa droite se tenait une femme à la chevelure flamboyante, dont le regard perçant et malicieux, fixait la mystérieuse excavation.
En face, un jeune homme frêle et fringant, légèrement efféminé, regardait ses comparses un sourire moqueur aux lèvres.
D'un signe de tête, il lança une longue corde qui vint se ruer vers les tréfonds de ce gouffre. D'un geste sec, il cassa une baguette lumineuse qu'il jeta rapidement. La tige tournoya de longues secondes le long d'un puits avant de tomber dans une eau noire.
La femme jeta un regard vers l'homme brun. Elle était persuadée d'avoir vu des ombres se déplacer. Ils ne seraient pas seuls...
Au fond, loin au fond, une porte les attendait, qui n'avait pas été ouverte depuis longtemps. Elle menait aux replis de la misère humaine, aux tréfonds de la peur des puissants. A ceux qui n'ont plus rien mais tout à gagner. A ce lieu perdu qui les accueille... La Cour des Miracles.