A peine un vertige, un ondulation de l'espace et du temps. Au détour du couloir, une ogive sombre, quelques marches et les trois Arcanes étaient entrées. Elles le surent aisément car tous leurs équipements électriques s'éteignirent simultanément. La technologie n'avait pas droit de cité en ces lieux anciens.
Le plus difficile fut sans doute de trouver son chemin devant la myriade de possibilités. Le labyrinthe était incroyablement complexe, et sans la combinaison des trois Cartes, la découverte de la vraie Voie fut illusoire.
Les marches étaient glissantes et le guide manqua trébucher à plusieurs reprises. Elles formaient un angle improbable qu'il s'efforça de franchir le plus naturellement du monde. Un vieux rideau crasseux bougeait paresseusement soumis à un vent invisible. Orichalk le souleva avec précaution par peur de le voir tomber en lambeau entre ses doigts gantés de cuir.
La première impression lui resta gravée, décalée. Une odeur de ragoût lui mit rapidement l'eau à la bouche.
Le couloir s'élargissait alors qu'une lumière chaleureuse illuminait la place. Les bruits, les odeurs, les voix et les silhouettes déguingandées se mouvaient dans la Cour. Elle était faite de bric et de broc, brouhaha improbable de saveurs de tout age. De vieux bâtiments manquaient de s’effondrer aux fenêtres desquels des linges séchaient, d'autres décorés de fleurs grimpantes. Les pavés disjoints étaient foulés autant par des enfants crasseux, des vieillards claudiquant que des matrones les bras chargés de fringues. Des hommes à la mine sombre regardaient les trois étrangers arriver. La barbe mal taillée ils sortaient tout droit des récits d'une autre époque, prompts à sortir un tranchoir ou une lame de rasoir. Des foyers brûlaient autour desquels des hommes parlaient à voix basses ou d'autres encore des vieillards entourés d'enfants qui buvaient leur parole.
Entre les toiles tendues en tentes bancales, un veillard s'approcha des trois étrangers. Il semblait horriblement vieux, débris d'une autre époque. Il affichait une barbe blanche clairsemée, des vieilles lunettes rondes. Il sourit de toutes ses dents cassées et chevauchantes. Sa diction était pourtant bonne, chuintante mais la langue parfaite.... la langue... elle était comprise de tous comme si en ce lieu elle était universelle, celle de la solidarité dans l'adversité.
- Ah l'Bateleur! je pensais qu'il t'était arrivé quelque histoire! mais te voilà! entre avec tes amis. Présente les nous. Matrone a fait un bon ragoût comme tu l'aimes. J'ai fait ranger ton chez toi et enlever les crottes de rats. Foutus rats! 'fin bref, les draps sont propres et c'est c'qui compte!Orichalk tenta de ne pas montrer sa surprise. Il suivait le vieillard sous le regard des habitants de la Cour. Des signes de tête, quelques sourires, des regards sombres, les gueux étaient méfiants, surtout envers les deux qui suivaient le Bateleur.
De nombreuses ruelles partaient dans toutes les directions à partir de la place principale, un véritable labyrinthe couvert de toiles, de planches branlantes ou de charpentes trouées. Des oiseaux y nichaient, tout une faune y vivait... chiens, chats, rats et enfants...
Une grande table avait été mise, sur une petite estrade. Des chandeliers éclairaient les visages curieux qui se pressaient tout autour. Au milieu des habits dépareillés, des jabots en dentelles déchirés, on pouvait apercevoir de temps en temps un clochard vêtu d'un T-shirt. Toutes les époques étaient présentes, mélange anachronique aux couleurs chamarrées.
- Merci vieillard dit Orichalk. Rappelle moi ton nom s'il te plait....
- On m'appelle Scribouillard, j'suis la mémoire de ce lieu et d'temps en temps le scribe d'un ou l'autre qui sait même pas écrire ni lire... Tiens, nous y sommes, t'vois comm' j'l'ai bien nettoyée?Il montrait une roulotte aux couleurs criardes, repeinte de frais. Le bois y était ancien, par endroit couvert de dessins. Quelques marches menaient à une porte au dessus de laquelle pendait une poupée vêtue d'habits anciens. Les trois Cartes y reconnurent immédiatement le Bateleur.
- Hmmm, oui... charmant en effet...Le Bateleur sourit, il se voyait déjà sortir une guitare et jouer sur les marches...
- Mais avant, viens manger. Assoyez vous les gars, c'est qu'vous d'vez avoir faim!! après on aura l'temps d'parler, on a plein d'choses à s'dire j'suis sûr.Il montrait un siège qui trônait au bout de la table. Derrière lui, une estrade un peu plus haute encore, et un trône, un véritable trône dont les dorures s'écaillaient par endroit. Il était vide. Depuis bien trop longtemps.