Derrière ses lunettes noires, le visage barré de longues mèches sombres, Orichalk était immobile.
- Cinq ans maintenant que vous avez disparu de la scène. Ne craigniez-vous pas que votre public vous oublie?
Le journaliste était risible, ses habits à la dernière mode ne ressemblaient à rien. Il prenait une attitude nonchalante, vautré dans son siège design inconfortable au possible. Il se dandinait d'impatience car la réponse tardait à venir.
- Vous n'avez rien sorti depuis tout se temps et vos apparitions en publics se comptent sur les doigts d'une main. Voulez-vous qu'on vous oublie?
- Oui.
Il aimait jouer de ce malaise qu'il incitait souvent. Il observait le journaliste, chacune de ses postures toutes plus artificielles les unes que les autres. La cool attitude.
- Euh... oui?
- Oui.
- hmm... Bien... la scène vous manque-t-elle? et votre public, oui, votre public. Ne vous manque-t'il pas?
- Non.
Le journaliste se tourna vers son acolyte caméraman comme pour y puiser quelques réconforts. Il restait vissé derrière son objectif pour ne surtout pas intervenir.
- Vous avez amassé une fortune considérable pendant ces 3 années de gloire au plus haut niveau. Je suppose que vous en avez bien profité? Qu'en avez-vous fait?
Orichalk sourit au journaliste, se leva. Celui-ci crut un moment qu'il allait lui en mettre une, ou claquer la porte, ou lui hurler dessus car il se ratatina dans son fauteuil et manqua de tomber à la renverse.
De sa démarche souple il alla verser un verre de whisky pour le donner au journaliste. Celui-ci le prit un peu hésitant, empoté, ne sachant trop quoi en faire.
- Allez détends toi mon gars, c'est qu'une interview comme une autre, je n'vais pas te manger.
Le journaliste sourit, toujours crispé mais indécis. Il consulta ses notes un peu perdu.
- Tu voulais savoir ce que j'ai fait de tout ce fric. J'vais te le dire. J'ai voyagé. et j'ai lu.
Nouveau sourire devant le regard incrédule du journaliste.
- Les livres que je lis coûtent très chers tu sais. et les voyages aussi. Mais j'ai beaucoup appris et compte bien mettre à profit ces connaissances.
- Ahhh...
Machoire tombante. Nouveau regard sur ses notes.
- Euh... et.. euh... vous jouez toujours de la musique?
- Oui. Pour moi même. Une musique différente, je ne sais pas si tu aimerais. Une de ces musiques qui modifie la nature des choses, l'essence même de la matière.
- Ah...?
- Et je chante aussi. J'ai appris à travailler ma voix. Pour être entendu quand je le souhaite. Et surtout... obéi.
Grands yeux du journaliste. Il prit un mouchoir pour s'essuyer le front, presque tremblant.
- Allons! tout doux mon grand, on ne peut pas plaisanter deux minutes? Tu veux que je joue un morceau peut être?
Le journaliste fit non de la tête, et se leva précipitamment. Il s'emméla quelques secondes dans les fils qui trainaient au sol.
- Non, non. Ca ira. Je crois qu'on va en rester là.
Il ferma la porte derrière lui. Le journaliste partit à grandes enjambées, suivi par le caméraman. Un rire éclata derrière eux qui leur fit froid dans le dos. Un rire qui devait longtemps résonner dans leur tête.